Aubepierre (Hte-Vienne)

Localisation :
Ce monastère de femmes se trouvait dans la forêt de Rochechouart, à 200m au Sud de Villeneuve, dans un lieu très sauvage, appelé les Cailloux Blancs, (Albis Petris) d’où son nom. Pour y parvenir en venant de Rochechouart et Biennat par la D 10, aller jusqu’à Villeneuve, et prendre après les maisons sur la droite, un chemin dans la forêt pendant 500m, tourner à droite sur un chemin, ancien chemin “romain”, en direction de la ferme de la Motte pendant 1 km. L’ancien prieuré était dans le fond à droite du chemin, le long d'un ruisseau.

Intérêt :
Néant.


Vestiges :
Sur place quelques levées de terre de part et d’autre du ruisseau. Quelques murs de fondation formés de pierres jointes à l’aide de terre, sans ciment, montrent un souci évident d’austérité et de dépouillement. Les pierres sont de granit rose, de quartz blanc, et de schiste. A quelques centaines de mètres, une fontaine appelée “fontaine de l’Abbaye”. A l’Ouest sur un petit replat se trouvent des amas de grosses pierres recouvertes comme le reste de mousse, de ronce, de lierre, de broussailles. S’agissait-il d’un cimetière ?
Un “bénitier” a été transporté dans le jardin de M Jean Montjoffre à Villeneuve, et une pierre tombale ornée d’une croix en relief d'un modèle assez banal, écrivait le Dr Grézillier. Elle a été transportée par les soins de M Jean-Henri Moreau dans l’église de Biennat. Je pense que cette église a bénéficié lors de son agrandissement, au XVIème siècle, non seulement de remplois provenant de la chapelle du château de Cramaud , mais également de remplois d’Aubepierre, notamment de son portail, qui ostensiblement n’avait pas été fait pour elle, car plus bas, il a dut être remonté sur des pierres banales. A moins que lors de la surélévation de la voûte de deux mètres en 1648 si l’on en croit la date inscrite à son sommet, on a été obligé d’avoir recours à ce moyen d’adaptation. Ce portail est d'un style typiquement limousin et bien grandmontain également. Sans tympan, ce portail possède une double rangée de colonnettes soutenant les tores de la voussure en arc brisé. La porte est surmontée d'une arcature avec moulure.Toutefois dans le mur Nord du XIIIe des remplois de pierres appareillées y ont été incorporé (voir photos ci-jointes), or la chapelle du château de Cramaud n'a été détruite qu'au XVIème s, c'est donc bien des remplois provenant d'Aubepierre qui y ont été incorporé.
Les vestiges étaient peut-être plus conséquents lors de la visite de l’abbé Duléry en 1855, car il écrivait :
“Il se trouve près de son emplacement, toujours au milieu de la forêt, une fontaine appelée Fontaine de l’Abbaye. On y voit encore quelques masures “.

"bénitier" se trouvant dans le jardin d'une propriété de Villeneuve.

ci-dessous : remplois mur église de Biennac

Portail de l'église de Biennac.

Histoire :
Son existence est certaine. Elle est attestée par plusieurs titres depuis l’an 1274 jusqu’en 1337 . D’après l’abbé Duléry sa fondation remonterait à 1274 par Aymeric IX, vicomte de Rochechouart. D’après Nadaud sa fondation aurait été faite avant 1259, par le même Aymeric IX; cela est improbable, mais en 1274 comme nous allons le voir.
Aymeric IX était né en 1233. Après avoir mené une vie tumultueuse dans sa jeunesse; il avait attaqué et pillé le couvent de la Chapelle-Blanche, sur la paroisse de St Victurnien. Excommunié par l’évêque de Limoges, Aymeric de la Serre, il dut pour se faire pardonner, par pénitence, assister à la procession du dimanche avant la quinzaine de Pentecôte, accompagné de tous ceux qui l’avaient assisté dans ses violences et saisies, savoir : lui et ses soldats, nu-pieds, sans coiffe ou ceinture, ou chapeau, avec de simples tuniques; tous les autres de sa suite en chemise, sans chaussures, nu-pieds, sans chapeau, tenant en main des verges dont ils se frappaient .
Aymeric IX s’était marié en 1251 avec Jeanne de Tonnay-Vivonne, fille unique et héritière de Geoffroy, Seigneur de Tonnay-Charente.
En 1263 Jeanne devait mourir en couche lors de la venue au monde de son quatrième enfant, Foucaud. Aymeric IX se remaria l’année d’après avec Mathilde de Vivonne, mais celle-ci devait mourir quelques mois après, le 11 Mars 1264. Très affecté, Aymeric IX se tourna vers la religion. C'est donc après 1270 qu'il fit bâtir dans la forêt de Rochechouart, dans un lieu de pèlerinage à la Vierge: le chêne de la Lune, une abbaye pour femmes : Albis Petris, qui devait prendre la règle grandmontaine.
De cette origine l'abbé Guillaume-Pierre Duléry rapporte cette légende :
“Cette forêt est vaste; il y avait alors de grands arbres, des hêtres touffus, de vieux chênes. Dans ces religieuses et silencieuses solitudes, dans ces profondeurs ombragées, on éprouvait une frayeur qui glaçait l'âme, quelque chose de mystérieux qui troublait le cœur et l'esprit. La figure de la Sainte-Vierge, grossièrement sculptée sur l'écorce d'un de ces vieux hêtres, protégeait la forêt et l'avait préservée jusqu'à ce jour de toute maligne influence, de toute atteinte du mauvais esprit, qui d'ordinaire recherche et goûte les lieux de ce genre.
“Le voyageur y passait en sûreté s'il saluait la Vierge ou s'il faisait une aumône. Le pauvre travaillait sans crainte, et les mères laissaient leurs jeunes enfants s'aventurer sur les bords, sans redouter pour eux le loup-garou, vieil habitant de ces antiques provinces, objet général de terreur et d'effroi, éternel récit du soir dans les chaumières. Le loup-garou était alors pour tout le monde un ministre de l'enfer, un envoyé de Satan ici-bas; c'était peut-être Satan lui-même! Satan, qui prend toutes les formes, Satan, qui ne redoute rien au monde, sinon le signe sacré de la Rédemption et l'image de la Vierge Marie. Aussi, dès que la lune venait à projeter une ombre douteuse au travers des arbres qui n'étaient point sous la protection de la Vierge, dès qu'un tronc vermoulu affectait, sous les indécises clartés de la nuit, des formes incertaines et bizarres, au moindre bruit, au plus léger événement, personne ne doutait que ce ne fût le loup-garou accourant de l'enfer, et monté, ainsi que le disait une vieille chronique, sur un cheval enflammé.
“Du côté de la Vierge, au contraire, aucune des puissances de l'enfer n'était redoutable. La Vierge des halliers, des buissons et des champs n'imposait que de pieuses pensées et ne permettait que des actions sages. Tant qu'elle demeurerait sur le haut de son arbre protecteur, on resterait bon et tranquille, le paysan pourrait passer d'un pied ferme, la jeune fille rester sans crainte.
“Les hauts et puissants seigneurs de Rochechouart conduisaient souvent leurs meutes dans cette partie de la forêt, et leurs chasses, qu'ils ne manquaient jamais de mettre sous la protection de la Vierge, avaient été jusqu'à ce jour, grâce à l'influence de la madone, exemptes de toute aventure fâcheuse.
Dans un acte informe, il est dit que Simon de Rochechouart, archevêque de Bordeaux, frère d'Aymeric IX, sacra l’autel Albis Petris , ordre de Grandmont, le samedi après la Purification 1277, en l’honneur de la Sainte Trinité, de la Vierge Marie, et les saints apôtres Pierre, André, Thomas martyrs, St Nicolas confesseur, sainte Catherine vierge .
C’est un des rares exemples de monastère grandmontain de femmes vivant sub regula grandimontensis. Ce monastère ne semblait pas dépendre de Grandmont , car il est inconnu des annalistes de l’Ordre: Pardoux de la Garde, P. Levesque. Il n’apparaît pas non plus au relevé des maisons de l’Ordre de la bulle de Lucius III, ni au dénombrement de 1295, ni à la bulle de 1317.
Ce prieuré reçu des dons de Pierre Brachet, clerc à Rochechouart, qui donna en 1272, à la prieure et aux moniales une vigne appelée Eychandeneys , se trouvant dans le vignoble de Rochechouart, entre la vigne de l’Aumônerie, et celle du Prieur du monastère.
Tous ces éléments donnent à penser que la construction de ce prieuré dut prendre plusieurs années, commencé vraisemblablement en 1272 ou même avant (donation de Pierre Brachet) à 1277 (sacre de l’autel par Simon de Rochechouart).
Son existence fut brève, ce monastère très isolé fut semble-t-il victime de brigandage au début du XIVème siècle, ou de quelque seigneur barbare, comme le suggère l’abbé Duléry . Une autre possibilité serait sa destruction par les Anglais en 1369 par vengeance, lors du siège de Rochechouart; siège qui fut un échec pour Jean Chandos .
“Et entrèrent Messire Jean Chandos, sénéchal du Poitou pour le roi d’Angleterre et ses gens, en la terre du vicomte de Rochechouart et l’ardirent et gâtèrent mâlement et n’y laissèrent rien, et furent devant la ville de Rochechouart et l’assaillirent de grand façon mais rien n’y conquirent car il y avait dedans bonnes gens d’armes desquels Thibaud du Pont et Alliot de Calais étaient capitaines, si la gardèrent de blâme et de prendre et passèrent outre lesdits Anglais et furent à Chauvigny. ”
La vie de ces moniales était des plus rudes, dans un lieu hostile. Soumises à un climat froid et surtout humide, menacées par les bandes organisées de routiers, toutes ces contraintes firent que leur expérience monastique fut de courte durée. D’ailleurs l’insécurité allant grandissante, surtout après les guerres de religion, l’Église pour pallier à ces exactions, préconisera que désormais les monastères de moniales soient construits en ville .
Au XIXème siècle, il ne restait plus que quelques ruines de ce monastère. L’abbé Guillaume-Pierre Duléry, curé de Biennat, nous raconte son pèlerinage sur les lieux en 1855 :
“Guidé par cet instinct secret qui attire l’homme vers les ruines, nous sommes allés visiter, en compagnie de M. l’abbé Ribière (le curé de Rochechouart), les restes de l’abbaye de Petris-Albis. Nous vîmes des prolongements de murailles, de pierres entassées, le tout couvert d’arbres, de mousse, de bruyères, de ronces et d’épines. Oh! comme les ruines s’harmonisent avec le désert! comme notre coeur fut ému en parcourant ce triste séjour! Autrefois les cantiques au Seigneur y retentissaient de toutes parts; aujourd’hui tout y est calme et tristesse“.
Nous bûmes, M l’Archiprêtre de Rochechouart et moi, à la fontaine de l’Abbaye. Nous nous agenouillâmes sur quelques pierres, peut-être les tombeaux de ces saintes filles..”
Vers 1960, le docteur A. Grézillier écrivait : "Il y a quelques années on voyait encore sur son emplacement un monceau de ruines d'où émergeaient des pierres tombales, au bord d'un mince ruisseau coulant d'une source dite Fontaine de l'Abbaye" .
A noter qu’un autre monastère aux confins septentrionaux de la Marche limousine s’appelait également Aubepierre. Son nom avait la même origine que la celle étudiée, albis petris, pierre blanche, provenant du quartz blanc qui parsème son sol. Ce monastère avait été fondé en 1149 par saint Bernard et l'abbaye de Clairvaux. Elle dépendait de l’abbaye cistercienne de Pontigny (Yonne). Ce monastère a été brûlé en 1569 pendant les guerres de religion. Il fut restauré partiellement au XVIIème siècle. Il abritait deux religieux en 1790 .

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