Chêne-Galon (celle n° 94)
Ce prieuré se trouve sur la commune d'Eperrais ((Orne). Il reste quelques éléments du bâtiment Est (cellier). Le bâtiment Sud a été refait au XVIIIe s. Pour de plus amples renseignements consulter les "Cahiers Grandmontains" n° 7. |
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Vestiges :
De l'aile Ouest, reconstruite au XVIIème siècle, il ne reste que
l'angle formé avec l'aile Sud. On peut encore voir une porte bouchée
qui devait donner accès à l'ancienne cuisine. Contre le mur Sud-ouest
de l'église subsiste la porte du passage, côté cour du cloître.
L'aile Sud a été entièrement remaniée au XVIIème
siècle dans le style Renaissance par Julien le TEXIER. Au milieu du bâtiment,
côté Sud, a été ouverte une grande porte, décorée
de pilastres et surmontée de clefs à bossage. Un grand escalier,
avec une rampe de fer forgé, permet d'accèder à l'étage.
Il reste trois gros contreforts côté cloître.
Les ouvertures du bâtiment Est ont été également
remaniées au XVIIème siècle.
Il subsiste la porte d'entrée dans la salle des moines à l'angle
du bâtiment Est et de l'aile Sud , côté cour du cloître.
Une autre porte apparaît à l'extrémité Sud de l'aile
Est (ancienne salle des moines), donnant dans un bâtiment de construction
plus récente.
Histoire :
La celle de Chêne-Galon semble avoir été fondée par
Rotrou III, comte du Perche, qui établit son autorité dans la
région de 1089 à 1114. Par une charte non datée, mais vraisemblablement
de 1112 , celui-ci donne quatre hommes aux religieux de Chêne-Galon :
" Moi, Rotrou, comte du Perche, je tiens à faire connaître
à tous que pour l'amour de Dieu et à leurs prières, j'ai
déchargé les frères de Chêne-Galon de tout service
et de toute redevance; et que je leur ai concédé, pour leur propre
service, un de nos hommes à Mortagne, un au Theil, un autre à
Nogent; j'en ai ajouté et leur ai concédé un quatrième,
Eudes de Fay, lequel, tant qu'il demeurera à leur service sera libre
de tout service envers moi; mais si tôt qu'il lui aura plu de quitter
leur service et d'en reprendre un autre, ledit Eude redeviendra de nouveau mon
homme corvéable..." .
Ensuite, aucun autre document n'apparaît pendant 80 ans.
Un acte du 10 février 1193 mentionne une donation de Geoffroy IV après
une visite aux religieux en compagnie de sa femme Mathilde et de ses frères
:
" Et ayant trouvé les religieux en leur devoir,célébrant
le service divin avec zèle et dévotion, et reconnu leur humilité
et pauvreté, étant assez mal vêtus,n'ayant que peu de moyens
pour s'entretenir d'habits...."
Il leur octroya la donation suivante:
" Au nom de Seigneur, moi Geoffroy, comte et Seigneur des Percherons, à
tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut: sachent tous ce que
j'ai donné et concédé à la maison de Chêne-galon,
du consentement de ma femme et de mon frère, pour le salut des âmes
de mon père et de ma mère et de nos ancêtres, sur chacun
de mes châteaux, et par jour, un denier en perpétuelle aumône;
et j'ai ordonné que ces deniers fussent prélevés dans mes
prévôtés et que les prévôts les payassent chaque
année à ladite maison à l'époque de Pâques
et qu'ils fussent employés à acheter des robes de bure aux frères.
Donné publiquement au lieu ici prénommé, l'an de l'incarnation
du Seigneur 1193, le quatrième jour des ides de février. Donné
par la main de Luc Bonnet, présents ceux dont les noms suivent : Gervais
de Pruley, Guillaume de Lourcy, Gervais de Beauvilliers, Henri le Cormier..."
.
Par la suite les religieux reçurent de Geoffroy IV , quatre sous tous
les samedis sur la prévôté de Mortagne, puis 60 sous sur
la prévôté de la Perrière et 60 sous sur celle de
Bellème .
Thomas succéda à son père Geoffroy IV et fut généreux
comme lui envers les moines de Chêne-Galon. Une double charte de 1216
en est la preuve. Dans son Histoire des Comtes d'Alençon et du Perche
écrite en 1620, Gil BRY, seigneur de Clergerie, nous la rapporte:
" La maison de Chêne-Gallon a deux autres monuments de luy; l'un
des trois hommes exempts qu'il donne aux bonshommes du lieu, l'un à Nogent,
l'autre à Mauve, l'autre à Bonmoulin de l'an 1216; l'autre de
confirmation des dons faits par son père, d'un denier par chaque jour
sur chacun de ses châteaux et y ajoute deux autres sur ses maisons et
prévostés de Moulins et Bon moulin".
Le dernier prieur titulaire de Chêne-Galon, Dom Jean Baptiste François
VITECOQ, nous a laissé une ébauche d'histoire de cette maison;
il nous dit en particulier sur cette période que :
" Entre autres bienfaiteurs de ce prieuré l'on y compte les anciens
Seigneurs de Clinchamp dont le château encore paroisse de Chemilly...
L'an 1211 commencèrent les bienfaits en faveur des religieux de Chêne-galon..."
" L'an 1225 le dit Robert de Clinchamp reconnaît que sa mère
pour lors femme de Guillaume de Lonraye et ledit Lonraye donnent de son consentement
aux religieux de Chêne-galon deux setiers de froment, un sur la métairie
d'Origny le Roux et l'autre sur la métairie de La Bigittière payables
au jour de Noël"
" L'an 1126 Emery de Clinchamp, fils aîné de Robert de Clinchamp
confirme la donation faite par feu Robert son père de dix livres de rente
aux religieux de Chêne-galon savoir sept livres au jour de Noël et
trois livres au jour de St Jean Baptiste, laquelle donation il fait approuver
par Gervais, évêque de Sées. Dans ledit titre il est énoncé
que ledit Robert de Clinchamp est enterré dans l'église de Chêne-galon."
" L'an 1228 au mois d'Avril, Christian de Clinchamp du consentement de
Jeanne sa femme et de Thibault son fils et de Aceline femme dudit Thibault de
leurs successeurs donnent au couvent de Chêne-galon, douze sols de rente
annuelle."
" L'an 1231 Emery de Clinchamp, chevalier, confirme aux religieux dix neuf
deniers de rente..."
“ L'an 1234 au mois d'Octobre Milon Le Tessier de Clinchamp du consentement
de Araburge sa femme et de Gilles son fils donne aux religieux de Chêne-galon
vingt sols tournois de rente avec promesse de garantie."
" L'an 1235 Emery de Clinchamp chevalier confirme la donation de vingt
sols ci-dessus donnés par Milon Le Tessier..."
" L'an 1237, Emery de Clinchamp, confirme la donation de son ayeule, du
consentement de son père Robert...et il donne en augmentation vingt sols
tournois de rente payables au jour de Noël chaque année."
“ L'an 1251, Gilles de Clinchamp, chevalier fils de Milon de Clinchamp
décédé, confirme les vingt sols tournois de rente que son
père avait donné aux religieux payables au jour de la Magdelaine."
" La famille des dits Sieurs de Clinchamp existe encore et plusieurs de
ses membres habitent le Maine."
" Les titres originaux ci-dessus énoncés sont en parchemin
et en bonne forme et déposés dans les archives du prieuré
de Chêne-galon. En foi de quoi j'ai signé le présent extrait
à Chêne-galon ce vingt et un février mil sept cent soixante
cinq. signé F.Vitecoq, prieur de Chêne-galon, avec paraphe"
.
Dans son Histoire du Perche, écrite en 1611, René COURTIN notait
:
" Le prieur et les religieux de Chesne Gallon sont fort bien payez et deserviz
de rentes, legz et aulmosnes par les recepveurs du domayne du Roy; aussi font-ils
bien en ce temps le service divin et les anniversaires de ces seigneurs, prians
pour la postérité du Roy qui leur a succédé."
En effet, le Roi de France avait succédé aux comtes du Perche.
Le dernier comte du Perche, Thomas, d'un caractère bouillant, avait été
tué en 1216 à la bataille de Lincoln. Sans descendance, il fut
remplacé par son oncle Guillaume, évêque de Châlons.
Ce dernier confirma tous les dons et y ajouta en 1219 ses gratifications personnelles.
Mais la lignée étant éteinte, la province du Perche fut
réunie à la Couronne de France.
En 1317 la celle de Chêne-Galon fut élevée en prieuré,
la bulle du Pape Jean XXII lui unissant les celles d'Authons et de Beaufeu.
Gil BRY, sieur de la Clergerie, trouva une donation de Pierre II, comte d'Alençon,
datée du 2 mars 1379, demandant au receveur de Mortagne de payer "au
Prieur et frères de Chêne-galon, quatre sols chaque samedi sur
la prévôté de Mortagne et un denier par jour sur le château
de Mortagne ou de Mauves".
On relève d'autres dons en 1450 et 1481.
Le 20 juillet 1558, les trois Etats de la Province s'assemblaient à Nogent
le Rotrou pour " réunir en un seul faisceau" les coutumes du
Perche. A cette assemblée, les religieux du couvent de Chêne-Galon
étaient représentés par Mr Jean DENISOT.”
Gil BRY écrivait en 1620 à propos de Chêne-Galon:
" J'aime cette maison et y sui aimé par les bons religieux qui y
sont, comme héritier de feu mon père...."
et plus loin:
" Cette maison de Chêne-galon est de l'ordre de Grandmont, gouvernée
avec bon ménage par le Prieur qui y préside maintenant, vivant
la règle avec les religieux au consentement de chacun" .
Ceci confirme ce qu'écrivait René COURTIN en 1611:
" J'ai recogneu un grand zèle au vénérable frère
Julien la Texier, à présent digne prieur de ce prieuré,
et un grand soin que les anniversaires soient solennellement faits en mémoire
de ces bons sires, fondateurs de la maison qui esté par sa diligence,
restaurée et mise en bon estat, après avoir esté fort agitée
par la tempête des commendataires, pendant le temps de leurs puissances;
les droits et rentes ayant été fort mal mesnagés et fort
égarés; lesquels il a fait recognaître et renouveler les
obligations. Il en est le vrai restaurateur".
Le fait d'être élevée en prieuré depuis 1317 avait
accru la richesse de Chêne-Galon sans pour autant accroître son
recrutement, comme d'ailleurs dans l'ensemble de l'Ordre de Grandmont. Son premier
prieur fut Robert Buac . On note que vers 1345 le prieur de Chêne-Galon,
Guillaume de la Marche était Procureur de l’Ordre .
On note la nomination d’un prieur commendataire Julien Texier le 14 avril
1639
L'historien Bar des BOULAIS qui vivait au milieu du XVIIème siècle
écrivait que le nombre de religieux s'était beaucoup réduit
et que "quatre bons-hommes" seulement occupaient Chêne-Galon
et "jouissait de cette grosse fortune"...On était donc loin
de la pauvreté constatée par Geoffroy IV en 1193...
Cette impression de richesse n'est semble-t-il pas partagée par Dom VITECOQ,
prieur de Chêne-Galon, qui sera un procureur général de
l'Ordre très controversé. Celui-ci écrivait le 8 août
1769 à Monseigneur Loménie de BRIENNE:
" Il ne me reste plus Monseigneur, pour l'entretien, vestière et
nourriture de cinq religieux, y compris le Prieur sur le pied de 400 livres
par an chacun que la somme de 2.686 livres.
" Cela vous paraîtra extraordinaire Monseigneur, que l'on puisse
vivre à si bon marché; mais lorsque tout est en communauté
et bien économisé, en province où il y a bien de petits
secours d'une basse-cour et d'une province où la principale boisson est
le cidre que l'on ramasse sur soy, l'on peut vivre à bien meilleur marché
que partout ailleurs..." .
Que nos lecteurs se rassurent, la vie à Chêne-Galon devait être
bien agréable, les bâtiments étaient très confortables,
voire luxueux...
Mais tout a une fin , et en 1772 la mense de Chêne-Galon fut donnée
partie au séminaire de Sées pour les prêtres infirmes, partie
au Chapitre noble d'Argentières, près de Lyon.
Mais les religieux eurent droit d'y rester jusqu'à la mort de leur prieur,
Dom François de VITECOQ. En plus du prieur claustral il restait deux
prêtres religieux, Dom Jean Baptiste FOULQUIER et Dom Pierre LEMPERRIERE.
Les " Nouvelles ecclésiastiques " rapportent que Monseigneur
l'évêque de Sées, qui n'était autre que le frère
de Monseigneur Plessis d'ARGENTRE, l'évêque de Limoges, attendait,
lui aussi, la mort de Dom VITECOQ avec une grande impatience...
Mais peu de temps avant sa mort, Dom VITECOQ avait passé un bail de 99
ans devant un notaire du Roi, Maitre René LEGRIEU, avec Michel FRANCONNET
et sa femme Marie REDAY pour des terres appartenant à la métairie
de Chêne-Galon. Ce bail emphytéotique commençait à
la Chandeleur prochaine et finissait "pareil jour les dites quatre vingt
dix neuf années finies, accomplies, et promettant garantie de tous troubles,
d'empêchements quelconques "!
Cet acte a été passé le 24 janvier 1784 alors que Dom VITECOQ
avait 85 ans... Monseigneur Plessis d'ARGENTRE, évêque de Sées,
avait trouvé son maître! .Dom VITECOQ devait mourir peu après
et les deux religieux restant furent renvoyés avec une mince pension.
L'évêque de Sées récupéra Chêne-Galon
avec grand plaisir, car il était en train de se faire construire une
très belle résidence par le même architecte que son frère,
Mr BROUSSAUD de Limoges.
Le 8 octobre 1790, le curé de Vaunoise, bourg proche de Chêne-Galon,
demanda à Messieurs les membres du district de Bellême, de récupérer
la contrétable de l'autel ,mais ceux-ci furent inflexibles et déclarèrent
:
" Le Directoire du Département de l'Orne et du consentement du Procureur
Général syndic et suivant l'avis du district de Bellême
a arrêté que la contrétable et statues dont il s'agit, même
tous autres effets dépendants de l'Eglise de l'ancien prieuré
de Chêne-galon, seront vendus à l'enchère. Le prix provenant
versé dans la Caisse du district à la charge par le receveur.
A Alençon le seize décembre 1790" .
Une estimation des biens de Chêne-Galon fut réalisée le
21 mars 1791 par Michel Jean René GUILLIN, expert nommé par Messieurs
les administrateurs du Directoire du District.
C'est la description d'une belle demeure :
" Le corps de bâtiment tout d'un même tenant, qui faisoit les
logements qu'habitaient les Religieux du ci-devant prieuré composé
en bas d'une grande cuisine, son office, un corridor qui conduit au premier
vestibule à droite est un bel escalier en marche de pierre taillée
avec une rampe en fer, au premier pallier duquel escalier il y ouvre une grande
porte à deux battants qui fait entrée pour aller dans le parterre
et jardin..." .
Il n'est malheureusement pas possible de donner ici l'intégralité
de cette expertise longue de plus de dix pages.
Chêne-Galon fut donc vendu aux enchères...L'église fut sans
doute démolie au début du XIXème siècle car elle
n'apparaît plus sur le plan cadastral de 1830.
Cet ancien prieuré est donc devenu ainsi une maison bourgeoise et rien
désormais ne laissera deviner sa destination première...
Enfin, nous avons retrouvé dans le dossier de Chêne-Galon une lettre
de l'Administration de l'Enregistrement demandant au Préfet en 1848,
de nommer comme expert de l'Etat, le Sieur SORTAIS de Bellème, pour estimer
des biens domaniaux, à savoir:
" Le bordage des journaux provenant de l'ancienne abbaye de Chêne-galon
qui est tenu par bail emphytéotique, en vertu d'un acte du 24 juillet
1784..." !
Dom François VITECOQ n'avait donc pas perdu son temps...!